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CANNES 2024 Quinzaine des Cinéastes

Julien Rejl • Délégué général, Quinzaine des Cinéastes

"On passera de surprise en surprise, d’inattendu en inattendu"

par 

- Le délégué général de la Quinzaine des Cinéastes cannoise évoque sa sélection 2024 et éclaire le débat sur sa ligne éditoriale

Julien Rejl • Délégué général, Quinzaine des Cinéastes
(© Florent Drillon)

Après la révélation de la 56e Quinzaine des Cinéastes (du 15 au 25 mai dans le cadre du 77e Festival de Cannes – lire l’article), rencontre à Paris avec le délégué général Julien Rejl.

Cineuropa : Vous avez impulsé l’an dernier un net changement de la ligne éditoriale de la Quinzaine, qui a pu être perçu comme radical par certains et comme un retour aux sources par d’autres. Votre sélection 2024 semble maintenir ce cap. Comment la définissez-vous ?
Julien Rejl : Cela dépend ce qu’on entend par radical. S’il s’agit d’un cinéma pointu s’adressant à des "happy few" ou à de fins connaisseurs, je m’inscris en faux face à cette compréhension car je n’ai pas le sentiment que les films que nous avons choisis soient de cette nature. L’an dernier, il y a eu une rumeur venue de certains professionnels parce qu’il y avait des déçus dont les films n’avaient pas été retenus et qui, pour se protéger, faisaient passer la sélection comme trop radicale. Mais quand les films ont été découverts sur place à Cannes, le public en salles et les distributeurs se sont rendus compte que ces films n’étaient pas si compliqués que cela.

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J’ai toujours pensé qu’il fallait que la Quinzaine représente des films qui puissent s’adresser à tous les publics, aussi bien un cinéma qu’on peut considérer comme très "arthouse" qu’un cinéma qu’on pourrait dire plus populaire. Mais la Quinzaine n’est pas un marché, c’est sa spécificité au sein du Festival de Cannes : c’est une sélection ouverte aux spectateurs qui montre des films d’une très grande diversité et que l’on ne retrouve pas ailleurs dans les autres sélections cannoises. C’est cela, l’identité de la Quinzaine. Et à ceux qui pensent que notre sélection est radicale, je rappelle que Thierry Frémaux, lors de sa conférence de presse, a présenté Un Certain Regard comme ayant "vocation à présenter un cinéma radical et de recherche". Donc j’ai envie de dire que le cinéma radical est à Un Certain Regard, pas à la Quinzaine. Si Thierry l’assume ainsi, c’est que même lui pense qu’un cinéma de ce type a sa place à part entière dans une sélection. Donc cette perception du marché par rapport à notre soi-disant radicalité est erronée, elle ne correspond pas à la réalité. Nous sommes là pour découvrir des films, certains viennent de vendeurs, d’autres de distributeurs, d’autres encore de nulle part, et c’est le mélange de tout cela qui fait la richesse de la Quinzaine.

En parlant de votre sélection 2024, vous avez évoqué des "paris, des coups de coeur et même des films qui ont divisé le comité de sélection".
J’essaye d’élaborer une vraie ligne éditoriale composée de films qui manifestent des goûts très affirmés et qui correspondent à ma façon de voir le cinéma. Certains films sont parfois très consensuels, mais d’autres, dont l’écriture cinématographique est indiscutable, créent véritablement la division entre ceux qui adorent et ceux qui détestent. C’est aussi mon travail de directeur artistique de prendre ces films. Lors de leur présentation cannoise : certains sortiront de la salle en disant qu’ils ont adoré, d’autres que c’était horrible, mais il se sera passé quelque chose, cela crée du débat. Une ligne éditoriale, c’est faire ces paris pour ne pas être consensuel et rassembleur sur tous les films de la sélection.

Quelle diversité peut-on attendre de votre sélection ?
On aura par exemple du drame social avec le film taïwanais Mongrel, des films ayant des racines dans le thriller et dans un cinéma des années 70 avec l’américain Gazer et la production danoise To a Land Unknown du Palestinien Mahdi Fleifel, le film d’animation japonais tout public Ghost Cat Anzu, La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy qui est à la fois un thriller social et un film complètement féministe, Ma vie ma gueule de Sophie Fillières qui commence comme une comédie et se transforme soudain en drame, un film de vampires et un "revenge movie" avec Sister Midnight, ou encore une comédie trash avec Les pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse. Et sur le versant documentaire, on trouvera de l’immersif avec le film brésilien The Falling Sky et de l’hybride avec Savanna and the Mountain du Portugais Paulo Carneiro centré sur une lutte politique dans un petit village et qui réutilise les codes du western et du film en chansons. Cela n’a pas été une volonté particulière de mettre des films de chaque genre. Mais en tant que cinéphile, je m’intéresse à une variété de propositions et je suis très heureux car les spectateurs pourront passer d’un film à l’autre sans quasiment aucun point commun entre eux. On passera de surprise en surprise, d’inattendu en inattendu. La Quinzaine ne met pas un cinéma en particulier à l’honneur mais l’éventail de toutes les typologies de cinéma (pas de thématiques) qu’on peut voir et avec lesquelles on peut aussi s‘amuser.

Pour le cinéma européen, vous avez sélectionné des films français, un espagnol et un portugais. On peut y ajouter la production danoise de Mahdi Fleifel et la britannique de l’Indien Karan Khandari. Quid des autres pays du Vieux Continent ?
Dans les propositions que nous avons remarquées, il y avait encore du très bon cinéma belge. Nous avons aussi reçu des beaux films nordiques, en particulier de Norvège, ainsi que des tchèques qui ont été discutés jusqu’au bout. En revanche, nous avons eu moins de surprises par exemple du côté du jeune cinéma italien.

Votre stratégie de sélection qui limite l’influence habituelle des vendeurs et des distributeurs vous vaut-elle des inimitiés ?
Il faudrait leur demander. Ceux qui n’étaient pas représentés l’année dernière et qui sont présents cette année sont très contents, donc il y un effet de conjoncture. Ce que cette tension reflète surtout, c’est que pour ces films art et essai, ne pas être à Cannes est un handicap majeur pour la vie des films. J’en ai bien conscience, d’autant plus que je suis un ancien distributeur, et je sais que quand je dis non à des films qui ont déjà dans le marché et qui ont besoin d’une vitrine et d’une lumière, ce sont pour eux moins de chances de percer et de trouver un public. Mais encore une fois, mon rôle premier n’est pas d’être dans cette continuité là, c’est d’être dans la découverte, de miser sur les auteurs de demain qui me paraissent les plus forts. Cependant, et ce n’est pas lié à la Quinzaine, il y a aussi un contexte général de crispation sur le fait d’avoir une place ici ou là pour exister. Il y aura donc mécaniquement tout le temps des petits antagonismes, mais quand un film est sélectionné, c’est oublié. Il faut également rappeler que 3/4 des films que nous recevons à la Quinzaine sont sans distributeur et/ou vendeur, donc ne sont pas encore dans le marché. Mon travail, c’est de donner leur chance à tous les films. Certains films ont déjà de vendeurs et de distributeurs, mais d’autres, nombreux, viennent justement à Cannes pour trouver de nouveaux partenaires.

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